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22.10.2015 - 29.11.2015

PROTÉINES, ENTRELACS ET VIDÉO
Une exposition d’Éric Duyckaerts


VERNISSAGE JEUDI 22 OCTOBRE 2015

Le jeudi 15 octobre 2015



Éric Duyckaerts, "Protéine"
technique mixte sur papier, 21 x 29,4 cm, 2013



Éric Duyckaerts est né à Liège en 1953. Il vit actuellement à Bordeaux et enseigne à l’école des Beaux Arts de Biarritz. Son travail articule avec humour les arts plastiques et des savoirs exogènes, tels que les sciences, le droit, la logique mathématique, etc.
La vidéo et la conférence lui ont très souvent servi de médium, mais il n’hésite pas à utiliser tous les médiums plus traditionnels, il s’est ainsi attaché à une exploration graphique des protéines et figures de l’analogie et des entrelacs.
Éric Duyckaerts est l’auteur d’un petit livre très singulier, Hegel ou la vie en rose, 1992, dont on ne sait trop s’il relève de l’essai, du roman, de la nouvelle ou de l’autobiographie (réédition augmentée, 2015). On lui doit aussi Théories tentatives en 2007.
En 2007, il occupe le pavillon belge de la biennale de Venise.

Notez tout de suite que la biographie et le parcours d’Éric Duyckaerts sont ébaubissant : les compétences se disputent avec les expériences professionnelles brillantes, étayées par une formation marquée par les « humanités classiques », parachevée par un double parcours en Droit et en Philosophie. Cet orateur aux qualités vite remarquées (il obtient la deuxième place au Tournoi d’Éloquence de la Faculté de Droit en 1972) renoncera finalement à la carrière à laquelle le prédestinait la voie royale qu’il s’était ouverte, afin de se consacrer aux potentialités de sa recherche Paradoxes et subjectivité menée à la Faculté de Philosophie et Lettres de Liège, en 1984. Puis, en 1988, chargé de cours à l’Université de Paris VIII (autour de Sémiologie de l’image et du son, Communication et paradoxes), il fait le choix de l’art en s’inscrivant à la session inaugurale de l’Institut des Hautes Etudes en Arts Plastiques (créé par Pontus Hulten) dont il deviendra conseiller scientifique de 1991 à 1992.

Sa première performance au Ans Palace de Liège en 1983, Expliquer le transfini à ses amis, fait écho à ses préoccupations en lien avec le langage, lesquelles ne cesseront de nourrir cet esprit mêlant savoir, sérieux et facéties. Celle qu’il réalise l’année suivante, à l’Espace 251 Nord : Main mise, main levée, main morte voit l’entrée de la vidéo dans son travail. Il en résultera d’autres, telle en 1989 le fameux Magister, constituée de dix-neuf séquences « conçues pour mettre en scène différents styles de métalangages » et en 1993 La Main à deux pouces (conférence/vidéo/dessins/moulage), présentée à la Galerie Emmanuel Perrotin. Ce tropisme pour les mécanismes du langage et leurs subtilités se trouve alimenté par l’homme de théâtre qu’il fut dans ses années liégeoises, ainsi qu’en témoignent plusieurs écrits : « Sur l’acteur » (Carré Magazine, 1981), « Main mise, main levée, main morte » (Alternatives théâtrales, n°28, 1987) ou encore « La question du métalangage est-elle périmée ? » (Cahiers internationaux de symbolisme, n°51-52, 1986).
Une anthologie de vidéos réalisées de 1989 à 2007 est disponible chez Art Malta.

Comme le dit le philosophe Joseph Mouton, l’art d’Éric Duyckaerts réside dans son talent à broder autour d’un sujet sans jamais vraiment l’aborder : « Pour Éric Duyckaerts, la poésie de l’élémentaire vient d’abord de sa rhétorique, dans laquelle il faudrait ranger un certain nombre d’excuses ("pour le dire ici trop vite"), de modesties ("je n’ai pas cette ambition") ou de présomptions ("vous ne l’ignorez pas") empruntées aux discours savants. C’est aussi le ton des principes, des prémisses, des préliminaires, des définitions, qui a cet avantage merveilleux qui tant qu’il nous enveloppe, nous demeurons loin de la chose même déchargés de ces fatigues et de ces imbroglios. Les commencements d’un apprentissage possèdent souvent cette beauté hivernale qui nous séduit tellement : tout y est clair, puissant et facile et rien ne marche encore ; nous nous tenons sur le balcon de notre ignorance comme les rois de la fête. »

Éric Duyckaerts inscrit sa pratique de la performance dans une tradition savante, appliquée à la transmission des savoirs : celle de la conférence, réalisée comme acte artistique. En jouant avec ce format, il interroge l’autorité et le pouvoir qui diffusent le savoir : les figures du professeur, du savant, du scientifique ou encore du lettré. Les outils de leur mise en question sont : le mélange des disciplines, la digression à outrance mais aussi le détournement et la déformation de la rhétorique admise.

Pour La Mauvaise Réputation Éric Duyckaerts propose une exposition qui rassemble des travaux graphiques peu, ou jamais vus : pastels, aquarelles, sérigraphies, mais aussi une vidéo récente intitulée Terpsichore qu’il a intégralement remontée pour l’occasion. On y découvrira également des aquarelles et des pastels de molécules et de protéines, serpentins colorés qui interrogent entre deux volutes la dialectique entre art et science.

De ces dessins d’entrelacs il dit : « Je suis fasciné par les entrelacs depuis ma prime jeunesse : tricot, vannerie, nœuds de marins, macramé, tissage... éveillent ma curiosité à la manière de tours de magie ou de problèmes d’arithmétique. L’ingéniosité humaine s’exerce dans les entrelacs d’une façon exemplairement anonyme jusque très récemment. Ils réunissent l’art et l’artisanat sans solution de continuité : on peut passer de Vinci et Dürer à des astuces vertigineuses de passementerie. »
Les entrelacs du mathématicien allemand Hermann Brunn l’obsèdent, tout comme les anneaux de son homologue français Pierre Soury : ces exercices de style de l’esprit sont pour lui « source d’inspiration permanente ». « Je suis d’une génération d’intellectuels formée par le psychanalyste Jacques Lacan » (qui s’intéressa au dessin du noeud : « Sur cette figure, lorsqu’une ligne est coupée par une autre, ça veut dire qu’elle passe sous elle. Ce qui se produit ici, à ceci près qu’il n’y a qu’une ligne. Mais quoi qu’il n’y en ait qu’une seule, ça se distingue d’un simple rond, car cette écriture vous représente la mise-à-plat d’un nœud. » Jacques Lacan, Le Séminaire, livre XX, Éditions du Seuil).

Cette exposition sans paroles sera clôturée par une conférence performance de l’artiste le vendredi 27 novembre à 19h30.

Vous l’aurez compris, Éric Duyckaerts est un héritier naturel de la modernité artistique qui, de Dada aux Surréalistes et au Pop, a utilisé l’humour comme antidote à l’académisme ou comme arme de contestation. Il est par ailleurs, sans jamais le revendiquer cependant, dans la filiation de la scène artistique belge, où les jeux de mots et la dérision sont pratiquement constitutifs de l’identité nationale. Utilisant le langage et le récit, il s’inscrit aussi dans l’histoire littéraire et théâtrale du rire, faisant usage des différentes formes et registres d’humour. Depuis Aristophane (450 - 386 av. J.-C.), le comique permet de contester l’autorité, qu’elle émane du pouvoir, de la religion ou de la philosophie.

D’Éric Duyckaerts on peut affirmer qu’il mène un travail réflexif sur le statut de l’art en maniant la parodie sur un registre aussi bien verbal que gestuel et graphique, réflexion dont la complexité protéinée du nœud s’exprime par les entrelacs de sa pratique et des sciences.

De plus, c’est osé, car, si le comique est bien installé dans l’histoire littéraire, le burlesque dans le cinéma, il y est souvent suspect, et plus encore, dans les arts visuels.