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BIOGRAPHIE

Pierre Molinier

Le jeudi 1er septembre 2005



« Notre mission sur terre est de transformer le monde en un immense BORDEL ».

Pierre Molinier a longtemps était perçu comme un artiste trublion, provocateur et obscène mais également comme un génie précurseur.
De Michel Journiac en passant par Lygia Clark, Matthias Herrmann, Alberto Sorbelli, Paul Mac Carthy... la liste des héritiers de Molinier est très très longue.
Artiste peintre et photographe, il défendra tout au long de sa vie qu’il choisira de mettre en scène, un art « sans contraintes ni restrictions ».
Son œuvre est transgression des genres féminin et masculin. Elle est humour, déconstruction, brouillage, fétichisme, mots durs, histoires chocs... Le personnage et l’œuvre sont affranchis, non seulement des convenances, des mœurs, de la morale, mais aussi et surtout des contraintes internes que tout être oppose au désir. Ils sont, sans détours, hors limites, dérangeants, troublants, polémiques... C’est pour cette globalité et à cause de l’ébullition de sentiments qu’elle provoque, que, 28 ans après la disparition de l’artiste, l’exposition « Pierre Molinier / Jeux de Miroirs » qui a lieu au musée des beaux arts, est une première à Bordeaux, où elle aura eu tant de mal à voir le jour.
Voici enfin l’occasion de rencontrer Pierre Molinier dans sa ville. Rencontrer ou plutôt devrait-on dire se trouver en présence, car, passer en flânant devant ses œuvres est chose impossible. Rappelons que les formats sont très petits, il faut donc se pencher pour voir, oser s’approcher et entrer dans cet univers si particulier, où le corps écartelé, sanglé, paré, travesti, devient la matière première. Découvrir l’univers de Molinier c’est aussi poser un regard complice, soutenir ces sourires tragiques, c’est être proche, faire l’expérience d’une intimité provocante, perverse, fascinante, abolie de toute temporalité.

QUELQUES ELEMENTS BIOGRAPHIQUES

Pierre Molinier est né un vendredi 13 avril 1900 dans la ville d’Agen. Tout jeune, il peint, il dessine, il réalise des photographies, se montrant lui-même et sa famille. Son père était peintre-décorateur de faux bois et de faux marbres, sa mère était couturière.

Pierre Molinier est un provocateur qui met autant de soin à créer lui-même sa légende qu’à peaufiner ses tableaux et assembler ses photomontages. Ainsi, il aime faire croire alors qu’il est élevé chez les frères, qu’il fut en fait confié aux jésuites et destiné à la prêtrise. Il raconte avec jubilation avoir eu une vie sexuelle très précoce. « Je devais avoir 2 / 3 ans, je marchais à quatre pattes. Je me mettais sous les jupes et je leur touchais les cuisses, je leur touchais les jambes, les bas...Alors je leur embrassais les cuisses, et, vous savez j’étais heureux d’être sous ces jupes. »
Alors, dès huit ans, il n’a de cesse d’embrasser les jambes de sa soeur adorée, Julienne. Lorsque celle-ci meurt en 1918 de la grippe espagnole, il viole son cadavre après l’avoir photographiée sur son lit de mort. « On l’avait habillée en communiante, elle avait des bas noirs ; je lui ai caressé les jambes un peu. Ça m’a fait de l’effet, je me suis mis sur elle, j’ai joui, sur son ventre, morte. » Il raconte également, à qui veut l’entendre, s’être travesti vers dix-huit ans et avoir eu à vingt ans, une fille, Monique, qu’il retrouvera plus tard sur les trottoirs de Bordeaux, et dont il fera sa maîtresse avant de lui offrir un bordel, le Texas-Bar.

C’est en 1922, après son service militaire, qu’il s’installe à Bordeaux, où il crée, à l’instar de son père une entreprise de peinture en bâtiment. Artiste peintre, il découvre « les œuvres des maîtres » dans les musées parisiens et réalise des paysages des vallées du Lot et Garonne ainsi que des portraits d’esprit impressionniste.

Autoportrait 1925 - 47.2 ko
Autoportrait 1925

En 1928 il est membre fondateur de la Société des Artistes Indépendants Bordelais. Dès lors, il expose à Bordeaux ces nombreux paysages de l’Agenais, du bordelais, ainsi que des compositions florales.

Il se marie, a deux enfants : Françoise et Jacques, ainsi que de nombreuses maîtresses.

En 1931, il emménage au 7, rue des Faussets dans le Vieux Bordeaux.

En 1944, son père se suicide, il gardera ses restes funèbres chez lui, dans une caisse.

Après la guerre, à partir de 1946 et jusqu’en 1951, il vit une période de rupture avec la vie conventionnelle et affirme sa liberté par la radicalisation de son comportement et de son œuvre.

Il crée alors « Les Orphéons Magiques » poèmes qui sont alors reconnus par André Breton comme des œuvres surréalistes. Sa peinture prend une facture nouvelle et les titres deviennent révélateurs.
En 1946 il réalise « Amour », qu’il n’a jamais voulu vendre, certainement conscient de son importance dans sa mutation artistique. Il broie ses pigments lui-même, mélangeant les poudres à son propre sperme, obtenant des glacis d’une transparence inégalable et se plaisant à dire : "Je mets sur mes tableaux le meilleur de moi-même".

En 1948 il peint « Les amants à la fleur » où l’homme et la femme se tiennent debout et habillés, puis en 1949 « Les amants à la campagne » où l’homme et la femme sont couchés, elle est nue.

C’est aussi en 1949 que sa femme le quitte, les deux chambres familiales seront condamnées à jamais. Il affirme dès lors sa liberté et se radicalise.

En 1950 il peint « Succube » où l’on peut voir un « bouquet » de jambes, de visages et de fesses.

En 1951, il achève « Le grand Combat » une toile dont il dira qu’elle représente des coïts multiples et autour de laquelle il organisera le scandale de sa rupture avec ses amis peintres bordelais : « Vous n’êtes pas des artistes... vous êtes des bornes à distribuer l’essence ! Vous êtes le signal rouge et vert au coin de la rue. Eh, allez donc, enfoutrés ! ».
De cette période datent également ses trois morts-fictions : l’érection en 1950 de sa « Tombe prématurée », et les deux mises en scènes de son suicide, « faire-part de deuil à la vie conventionnelle » et triptyque de renaissance pour une vie nouvelle, entièrement vouée désormais à son grand oeuvre.

Autoportrait sur un fauteuil - 51.9 ko
Autoportrait sur un fauteuil

Il réalise, seul dans son atelier, ses premiers autoportraits photographiques dans lesquels il se montre travesti, exprimant ainsi son fétichisme des jambes. Ces clichés, il ne les montre qu’aux très rares personnes qui viennent le voir.

Autoportrait - enchaîné - 40.8 ko
Autoportrait - enchaîné

Pierre Bourgeade dira « passer sa porte ce n’était pas errer dans un monde marginal, c’était franchir le seuil d’un autre monde ».

A partir de ces photographies, il réalise des découpages afin d’obtenir des photomontages qu’il intitulera « ses inventions érotiques ».

Grande Mêlée, 1968 - 37.9 ko
Grande Mêlée, 1968

Il continue de peindre et envoie en 1955, un dossier de ses écrits et de ses tableaux à André Breton. Celui-ci est très enthousiaste et rédigera la préface du catalogue de l’exposition parisienne de 1956 qui aura lieu à la galerie de « l’Etoile Scellée ». Le public peut alors découvrir dix huit peintures dont « Comtesse Midralgar ».
A cette occasion, il fait la connaissance de Hans Bellmer, Man Ray, Max Ernst...
C’est ainsi que débute sa collaboration aux publications surréalistes dans lesquelles il présente les photomontages qui le font connaître dans le monde entier.

En 1962, Raymond Borde lui consacre un film.

En 1965, lui-même tourne « Jambes ». « Il est fort probable que je ne crèverais pas seul, mais avec mes jambes qui sont un si grand moi-même. »

Oh !... Marie, mère de Dieu, 1965 - 82.9 ko
Oh !... Marie, mère de Dieu, 1965

Les 10 années d’amitié avec André Breton qui décrit sa peinture comme « magique » influencent le titre d’un tableau blasphématoire qu’il réalise en 1965 : « Oh !... Marie, Mère de Dieu ». C’est aussi à ce moment qu’il réalise sa « carte de visite », se représentant en auto fellation. « Finalement, je suis arrivé à me faire des pompiers et je suis resté 18 jours sans bouffer. Les yogis appellent ça le circuit. C’est-à-dire que vous avalez, et donc ça vous nourrit. »

C’est donc en continuant de peindre que Pierre Molinier va élaborer, confiné dans une intimité provoquée dans le pentacle magique d’une pièce tapissée de miroirs et engorgée d’accessoires (escarpins, godemichés, poupées de cire, masques, voilettes et jambes de plâtres...), l’oeuvre érotique la plus fascinante du XXe siècle. « J’ai fait des photomontages comme j’ai fait des tableaux. La seule différence, c’est que les éléments, je les ai pris sur moi : c’est une sorte d’égocentrisme, de narcissisme. Je place ma peinture au même niveau que mes photomontages ». C’est dans cet univers qu’il reçoit de nombreux invités, généralement des jeunes hommes et des jeunes femmes, qu’il met en scène et photographie.

Dans les années 1966 / 1967, Molinier prépare un ouvrage sur ses peintures, publié chez Jean Jacques Pauvert en 1969.

Emmanuelle Arsan, 1967 - 19.7 ko
Emmanuelle Arsan, 1967

Puis, vers 1968, il travaille sur un recueil de ses photomontages « Le Chaman et ses créatures » dans lequel apparaissent les visages de ses inspiratrices Emmanuelle Arsan et Hanel Koeck, « Déesse de l’érotisme ». Il cherche un éditeur pour ce livre qui lui a nécessité trois tracés successifs de ses caractères les plus superbes et retouchés. Le livre devait être publié par Jean-Jacques Pauvert en 1969, le projet a avorté suite à de nombreuses pressions politiques. Il a été finalement publié en 1995, presque vingt années après la mort de Pierre Molinier, dans une version qui respecte le tracé original de l’artiste par William Blake & Co. édition.

Le Chaman - 15.9 ko
Le Chaman

Il travaille à la série « l’œuvre, le peintre et son fétiche ».

En 1972 Pierre Chaveau réalise un entretien avec Molinier dans la chambre-atelier de la rue des Faussets.
Ces dernières rencontres importantes, ses derniers portraits seront ceux de Thierry Agullo, et de Luciano Castelli, mais également Peter Gorsen avec lequel il correspond depuis la fin des années 60, compagnon de Hanel et auteur d’un texte publié en 1972 : « Pierre Molinier lui-même ».

On peut dire que Pierre Molinier a organisé sa sortie de scène. Après deux opérations de la vésicule biliaire entre 1970 et 1974, la mort accidentelle en 1975, de son fils, Jacques, c’est dans une spectaculaire mise en scène, le mercredi 3 mars 1976, qu’allongé sur son lit devant un miroir, il se tire une balle de Colt 44 dans la tête.
On trouvera accroché sur la porte de l’appartement ces mots : « Je me tue. La clé est chez le concierge », et, non loin du corps, accrochée sur un fauteuil Louis XV, une lettre avec ces mots : « Je soussigné et déclare me donner volontairement la mort, et j’emmerde tous les connards qui m’ont fait chier dans toute ma putain de vie. En foi de quoi je signe. P. Molinier ».

Molinier lègue son corps à la science, en espérant que ses couilles seront greffées sur un vieux mâle impuissant de 30 ans...
Son épitaphe était prête depuis longtemps : « Ci-gît Pierre Molinier / né le 13 avril 1900 / mort vers 1950 / Ce fut un homme sans moralité / il s’en fit gloire et honneur / Inutile de pleurer pour lui ».


Il nous reste aujourd’hui l’œuvre de Molinier où, « Affublé de ses oripeaux de fétichiste, il fait de son corps la matière première de ses photomontages, posant, écartelé, sanglé sur fond de toile de Jouy. Chaman, magicien et démiurge, il sublime ses perversions et devient à jamais ce qu’il a voulu être, une femme hybride retouchée au pinceau, poupée hermaphrodite dont le sourire tragique abolit le temps. » Jean-Luc Mercier 2000


Pierre Molinier, rue des faussets, 1975 - 193.2 ko
Pierre Molinier, rue des faussets, 1975

Florence BEAUGIER