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« I’m just drifting. [...] When I feel like this, I know the drift will take me again. » (Permanent Vacation, film de Jim Jarmush, 1980)
Portobello 1985 © Luc Chery
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C’est dans une sorte d’état de flottement (drifting) que Luc Chery a, dans la première moitié des années 1980, photographié la nuit, celle des bars, des concerts, des boîtes, une « faune des dancings » post-moderne à l’orée des années sida. Il s’insinue au plus près des protagonistes de cette excitation nocturne. Les photographies de la série Drifting, dont le point de vue peut faire penser au travail de John Deakin, témoin privilégié de la période Soho de Francis Bacon, présentent des corps humains en mouvements. Une énergie sourde s’en dégage, au point que le chatoiement présumé de la scène transcende l’apparente dualité du noir et blanc. Des visages peints, des silhouettes travesties - « en d’étranges déguisements et d’incroyables mises » (Paul Morand, Ouvert la nuit) -, des regards égarés ou parfois complices suffisent à instaurer un climat de vibrante agitation, de promiscuité chaleureuse, de sensualité à fleur de peaux. À quelques exceptions près, ces corps intenses sont lacérés, encadrés dans des environnement délabrés, dédoublés, ombrés, mis en abyme, devenant parfois reliques. À l’insouciance, à l’immédiateté enivrante, qui sans doute frappaient et ravissaient les commentateurs privilégiés de ces années 1980, fait écho, trente ans après, une nostalgie amère. Les promesses de l’aube conduisent au crépuscule, les reliques sont dépouilles. La maladie fait ses premières victimes à la même époque. Qui, parmi les modèles photographiés alors, aura réchappé à l’hécatombe ?
Bordeaux 1985 © Luc Chery
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« Pourquoi ces photos vibrent-elles d’une telle intensité ? Parce qu’elles montrent des humains tendus vers le seul désir d’être des personnages, dont le reflet disait, et même criait, toute la profondeur.(...) Ils ont été la gloire d’une jeunesse qui n’eut d’autre orgueil que son trouble et son vertige de scintiller au bord du précipice. » (Michka Assayas - Octobre 2017)
Bordeaux 1985 © Luc Chery
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Luc Chery a commencé son travail photographique dans les années 80 avec la série Drifting. Contrairement à l’instantanéité que réclame la photographie de reportage, Luc Chery ne « vole » pas un sujet au débotté, mais l’ausculte longuement, l’apprivoise et s’en infuse au terme d’une longue maturation afin d’établir un rapport de confiance, une sorte de contrat tacite avec son motif. Il applique aussi cette approche aux « natures mortes » qui, après Drifting, sont devenues quelques-uns de ses sujets de prédilection. À Taravao (Tahiti) comme sur les côtes de Gironde, il développe ce thème à partir d’espèces végétales naturalisées, de dépouilles d’oiseaux ou de poissons, soulignant le lien étroit qu’entretient la photographie avec la disparition et la mort. À cette poésie des ruines organiques (en noir et blanc), ont succédé, dans les années 2000, des séries inspirées (en couleur désormais) de ses fréquents séjours à Jérusalem et sur la bande de Gaza. La série Les Habitats a pour sujet les camps de réfugiés. Mais, des Drifting des débuts à ses expériences actuelles, proches d’une abstraction picturale, le corps se situe au cœur de la démarche de Luc Chery : ici représenté, là dissimulé derrière des textures qui font peau, des logements délaissés qui stigmatisent l’absence, des compositions qui s’anthropomorphisent.
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