Escale du livre 2010
SERGE SIMON
Ça, c’était quelqu’un !

rencontre & dédicace dimanche 11 avril


   

 

DANS LA MEME RUBRIQUE :

MOOLINEX - TATTOOTOO
rencontre et dédicace
vendredi 12 mars, 17h

JOHN KING
"White Trash"

It’s not only Rock’n’Roll
Catherine Viale & Petit Vodo

L’ABANDON DU MALE EN MILIEU HOSTILE
LARHER ERWAN

Les éditions OLIVIUS
Rencontre avec son Excellence Otto pour :
Une indécence française

Rencontre avec DIANA J. TORRES
"PORNOTERRORISME"

Rencontre avec CARLOS ZANON
Eugene S. Robinson
Paternostra

WILLEM
Plus jamais ça !

Le Tampographe Sardon
MARIE L
PORTE 8

MURIEL RODOLOSSE
Catalogue d’exposition

Lettres d’engueulade
par Jean-Luc Coudray

OLIVIER BESSERON
SNACK

NIKOLA WITKO
Professor Furia :
leçon de savoir-vivre

PIERRE LA POLICE
- Top télé maximum
- Attation !
- Nos meilleurs amis et l’acte interdit

Olivier Martinelli
" La nuit ne dure pas "

Escale du livre de Bordeaux
Rencontre avec les éditions québécoises Coup de Tête
PRESENCE PANCHOUNETTE
présentation du catalogue

COMMENT DORMIR
Illustré par Alban Caumont

Julien CAMPREDON
Brûlons tous ces punks pour l’amour des elfes

Eric Chauvier et Bruce Bégout

NATHANAEL JO HUNT
MALEK CHEBEL
Grand entretien vendredi 1er avril / 17 h / TnBA

Richard Allan
PHILIPPE MANOEUVRE
STÉRÉOVISIO VOLUME 1
Loïc Dauvillier & TANXXX
9 PIEDS SOUS TERRE

L’odyssée de la Soul
MARC LARGE
Rencontre & lecture avec Michel Vézina
MALEK CHEBEL
Dictionnaire amoureux des Mille et une nuits

ROSITA WARLOCK & Mr. DJUB
Les Mondes Promis

HEY ! #2 enfin en librairie !
SERGE SIMON
Ça, c’était quelqu’un !

MORVANDIAU
Les affaires reprennent

JEAN-LUC COUDRAY
L’Avenir est notre poubelle

RICARDO SUMALAVIA
Pièces

LAURENT BRAMARDI
& LORENZO
Pénélope et Marguerite

SOPHIE POIRIER
Mon père n’est pas mort à Venise

ALEXANDRE GAMBERRA
Les filles du déluge

ÉRIC CHAUVIER
4 titres aux éditions Allia

BRUCE BEGOUT
Le ParK
(nouveauté aux éditions ALLIA)

AMY LOCKHART
Dirty Dishes

MARC BELL
Shrimpy et Paul

MOTOWN, SOUL & GLAMOUR
de Florent MAZZOLENI

MELO BIELO
Un mélodrame Biélorusse

Régis LEJONC
GUILLAUMIT
Olivier KA
Olivier LATYK


 


Rencontre et dédicace avec SERGE SIMON
Dimanche 11 avril - après-midi
Escale du livre / quartier Ste Croix, TnBA, conservatoire




Serge Simon est ancien International de rugby, médecin de profession, et consultant média (presse écrite, radio et TV). Après La Mêlée, il s’essaie au roman sur un sujet qui lui tient particulièrement à coeur : l’après-carrière d’un sportif professionnel.










SON DERNIER TITRE



Auteur : Serge Simon
Titre : Ça, c’était quelqu’un !
Editions Prolongation
En librairie le 24 mars 2010
13 x 20 cm / 144 pages / Broché
Prix : 14.00 euros







« Lord Big Mug » avait titré la presse anglaise lorsque le considérable Georges Mugar, trois-quart centre de l’équipe de France de rugby, avait permis, grâce à sa force colossale, de remporter le Tournoi des V Nations. Mais vingt ans plus tard, Georges n’est plus que l’ombre de celui qu’il fut et vend des conserves dans un supermarché. Comment en est-il arrivé là ? Happé par le monde du rugby professionnel, endormi par la célébrité, il n’était tout simplement pas adapté à une vie normale.
Ça, c’était quelqu’un ! est le récit intime et sans concession de cette déchéance sociale et psychologique dans laquelle l’alcool joue un rôle important.
Un roman poignant pour lequel l’auteur a su tirer parti de sa propre expérience et de celle de nombreux anciens coéquipiers.




>>> EXTRAIT


12 h 23’00’’
Centre Leclerc de Saint-Médard-en-Jalles, Gironde


Ce lundi d’un automne particulièrement long, Georges compressait ses 135 kilos décatis dans un maillot et un short au bord de la rupture. Les couleurs de la tenue choisie pour cette animation commerciale par les conserves « Le Pouton » n’appelaient pas à la discrétion. Un orange vif se laissait grignoter par des lettres bleu électrique gravant l’antienne de la marque : « Les conserves Le Pouton, les conserves fabriquées comme à la maison. »
Les bourrelets de Georges ne parvenaient pas tous à s’imposer sous le tissu et l’obligeaient à abandonner une partie de son ventre à l’air libre, exhibant nombril, poils et quelques boutons infectés. Assis sur un tabouret à vis, en short et chaussettes blanches, il arborait une vieille paire de chaussures à crampons, achevant de donner au tableau un air désolé.
Arrivé quarante-cinq minutes auparavant au terme de deux heures de route ennuyeuse, il avait installé lui-même l’affiche cartonnée sur laquelle sa tête barrée d’un sourire vantait les mérites desdites conserves en compagnie d’un cochon avec lequel il partageait l’image de la marque. Georges disposa son petit stand constitué d’une table, d’un tabouret, de l’affiche, d’un empilement de boîtes de conserve minutieusement érigées, à l’endroit convenu entre le commercial de la maison et le directeur du supermarché.
Malgré sa demande insistante, et comme souvent, ces crétins l’avaient placé entre les salaisons et les fromages. Cela le mit de mauvaise humeur. Il était rémunéré à la boîte vendue et son cœur de cible, l’abruti mâle de 20 à 70 ans, se capturait ailleurs. Il avait remarqué au tout début de cette carrière de tête de gondole que, paradoxalement, les alentours des rayons automobile et bricolage abritaient les meilleurs postes pour cette pêche de camelot. Là, il ramassait dans ses filets de nombreux spécimens se collant à lui, l’ancien champion des terrains, comme des mouches sur ces serpentins d’un ocre luisant que sa grand-mère suspendait au plafond de son salon.

Jusqu’à ce qu’il embrasse cette pitoyable carrière de vendeur de pâté moins d’un an auparavant, le lundi était pour Georges un jour mort. Un jour où rien d’important ne pouvait se passer. Du temps où il jouait au Rugby, on « récupérait », on allait chez le kinésithérapeute tenter de réparer ce qui le nécessitait et pouvait encore l’être. On allait se tremper les cuisses dans des bains glacés ou brûlants, cela dépendait des modes. Le lundi attendait le mardi, jour du premier entraînement. Puis venait le mercredi où se dessinait déjà l’équipe du dimanche dans le match en opposition. Le jeudi était un jour de repos, mais plein. Plein des espoirs de faire partie du voyage, plein des craintes que pouvait inspirer l’adversaire. Ensuite arrivait le week-end, avec match le samedi ou le dimanche. Le week-end était l’épicentre de tout. La préparation du match occupait l’espace et le temps. Chaque seconde était pleine de mille choses à penser et à faire. Tout le monde s’activait autour de lui, et lui autour du monde. Le match arrivait enfin, massif, exaltant, et l’après-match comblait le reste. Toute la vie de Georges s’y condensait. Un des premiers chocs de l’après-carrière fut le gouffre qui s’ouvrit au pied du vendredi. Le samedi et le dimanche devinrent deux infranchissables sables mouvants que rien n’asséchait. Le lundi, aujourd’hui comme hier, était le seul jour où il ne se passait rien. Théoriquement.
Même devenu entraîneur (contre quelques billets et un plat du jour tous les midis sauf le dimanche au Bar de la Poste) d’un club Fédéral 3, soit cinq divisions en dessous de l’élite parmi laquelle il vécut pendant plus de dix ans, Georges faisait relâche le lundi.

Son emploi du temps n’avait changé que le jour où le nouveau Président du Club, un jeune chef d’entreprise autodidacte et menteur, l’avait fait venir dans le bureau de sa fabrique de conserves. Se prétendant ému par des rumeurs courant sur les difficultés de Georges et flairant le bon coup commercial, il lui demanda pourquoi l’ancienne équipe dirigeante l’avait laissé tomber si bas. Georges baissa les yeux et prit la défense de son ancien Président. Il ne lui en voulait pas. Ce poste d’entraîneur qui le nourrissait aujourd’hui et lui payait le meublé, c’était lui. Le nouveau Président, petit homme nerveux dont les rondeurs masquaient mal un mépris pour tout autre chose que sa personne, fit une moue faussement dubitative et enchaîna. Il lui proposa de représenter sa marque de conserves « Le Pouton ». Pas de salaire, mais un intéressement à la vente et de la marchandise quand ce serait possible. Georges accepta immédiatement et démarra sa carrière de tête de gondole le lundi suivant dans un supermarché de périphérie.

Georges Mugar, quarante-quatre ans dont vingt-cinq passés à porter le maillot azur et or de l’équipe de Rugby locale, en fut le courageux deuxième-ligne et capitaine durant une dizaine d’années. Plusieurs fois international, il devint un héros provincial bien au-dessus de tout autre, loin devant la liste des enfants de la ville morts pour la France, et supplantant même un boucher, finaliste d’un jeu télévisé où l’on obligeait les uns à s’affamer indécemment, les autres à déprimer profondément, et tout le monde à se dénoncer afin d’être le dernier survivant de ce radeau de la méduse médiatique. Georges avait raccroché ses crampons de joueur professionnel dix ans auparavant.

Les néons crachaient sur le rayon charcuterie/fromages leur lumière acide. Georges, déjà bien imbibé de whisky, assis devant les boîtes de conserve, cherchait les mouches de sa grand-mère. Il tremblait depuis le matin. D’ordinaire, ce tremblement s’estompait peu à peu. Mais cette fois, la sensation de nœud électrique dans le ventre persistait malgré les nombreuses lampées de whisky ingurgitées depuis son réveil. Là, rien à faire, cette tension l’emplissait progressivement comme la proie déforme le python qui l’avale. Un effroi sans visage lui glaçait les veines. En tournant la tête, il crut voir, au détour du rayon lui faisant face, tout au fond de l’allée, un immense serpent projetant son onde huileuse sur le sol froid. Un profond trou noir avala sa pensée lorsqu’il tenta de rassembler ses idées et d’en faire le tri.
Ce n’était pas la première fois qu’il faisait le guignol pour des conserves et certainement pas la dernière se dit-il, tout en se laissant caresser par l’idée qu’il se trompait peut-être. Il se pencha, ramassa sa petite flasque de Jack Daniel’s et avala une gorgée. L’angoisse et la peur résistèrent, mais le trou noir qui menaçait de l’engloutir tout entier recula de quelques coudées. Les gens passaient devant lui sans vraiment le voir. Il n’était décidément pas au bon endroit. Seuls quelques enfants s’amusaient de sa tenue orange de joueur de Rugby boudiné. L’un d’entre eux tira sa mère vers le petit étal en bois garni de paille sèche et sur lequel les boîtes s’empilaient. Georges tenta de sortir de sa sidération intérieure et lui sourit tristement. Il lui tendit un petit carré de pain frais sur lequel il avait étalé un morceau de confit de porc dont les morceaux de gélatine ondoyante s’étaient écrasés sous le couteau comme un métal en fusion.
Souvent les enfants hésitaient devant Georges. Bel athlète durant les trente-cinq premières années de sa vie, Georges évoquait désormais le monde inquiétant des monstres. Même assis et ramassés sur eux-mêmes, les 190 centimètres enrobés de 135 kilos de chairs, de graisse et de muscles avachis dégageaient une force inquiétante. Une sensation inconfortable de furie mal contenue se dégageait sans hâte, mais de manière continue, de ce corps au dessin de plus en plus flou.
La largeur des détails, des mains, des épaules, des cuisses, des pieds lui donnait une incongruité agressive. Les traits de son visage, jadis réguliers et plutôt fins, qui avaient donné à ce colosse une tranquillité débonnaire, s’étaient effacés sans tout à fait disparaître. La face du champion se cachait là quelque part derrière celle du monstre, surgissant de temps en temps, affleurant à la surface de la peau avant de disparaître au plus profond de l’obscurité telle une bête effrayante et effrayée. Ses arcades tant de fois éclatées par les coups s’affaissaient sur ses yeux bleus jusqu’à leur barrer la moitié de l’horizon. Son regard se couvrait au fil des années d’une nuit de chair. Tapis au fond de leurs cavités naturelles, ses yeux n’en étaient que plus inquiétants. Ses iris, d’un bleu très pâle, brillaient d’une lueur métallique au milieu d’une cornée jaunie par un entrelacs de veinules et d’artérioles. Ses globes oculaires dorés et ventrus apparaissaient tendus, prêts à s’éjecter du visage pour s’écraser n’importe où dans un bruit mou. Le tout s’emplissait d’une tension donnée par ce reflet humide et larmoyant qu’engendrait sa consommation chronique d’alcool.

La peau du visage, elle aussi, donnait à lire. Les cicatrices flottaient sur cette vaste mer irisée de teints verts, rouges et jaunes. Les pores s’étaient élargis au fil du temps. Les poils, épais, et blancs pour certains, continuaient de manger les parcelles vierges, grimpant inéluctablement vers les yeux. Çà et là, des bouquets variqueux et violines se tassaient sur eux-mêmes. La pommette gauche s’était tachée rapidement d’une ombre vermillon. Le matin où il le constata pour la première fois dans la lumière grésillante de sa petite salle d’eau, Georges crut par l’habitude de son sport que ces reflets matérialisaient la trace d’un coup. Au fil des jours, il dut se rendre à l’évidence. Aucun coup ni frottement n’avaient pu provoquer cela. Le verdict apparut implacable. Cette rougeur était de celles qui marquaient les amoureux de la bouteille. Comme une preuve à charge de plus à verser au dossier, quelque temps après, le nez de Georges se dressa lentement aux vents dans une arrogance boursouflée. Jeune, l’appendice était plutôt droit et cohérent. Ni gros ni petit, il tint honorablement sa place dans ce visage massif aux proportions remarquables, pendant des années. Mais ce nez eut sa propre vie. Tant de fois brisé, il renonça à toute unité. Il se maintint là, quelque part, sur le côté. Il s’aplatit d’abord dans une courbe gauche dessinant une conche dont la joliesse féminine aurait pu, hors contexte, se révéler charmante. Il était comme ces pans de forêts de pins soufflés par la tempête. Il se coucha sur la joue, comme épuisé par un voyage douloureux où chaque dixième de millimètre aurait été gagné de longue lutte. Comme pour contrer cette posture insolite, les chairs qui l’habillaient évoluèrent pour leur propre compte. Ce nez bourgeonna. Il s’enfla d’une ecchymose éthylique irréversible. Il se gonfla, détaché de toute symétrie, comme un soufflé oublié se déversant du plat. Il se boursoufla de tons bleus rassemblés autour de pores devenus sombres et gigantesques. Son nez devint une trogne lardée de varices. Moche et verni.
Et un jour, Georges, l’ex-grand champion, l’ex-force de la nature, l’ex-joueur craint et respecté, admit, non sans peine devant ce tableau affligeant, qu’il s’était mué en ivrogne.

 

 




 

 

Courrier  Recevoir la Newsletter
Textes & illustrations sous COPYRIGHT de leurs auteurs. Traduction/Translation